Nous n’avions pas encore avalé la pilule PA 2007 que l’on nous présente déjà le projet de PA 2011. Que faire face à cette évolution ultra rapide dont l’objectif est à cent mille lieues de nos intérêts et de ceux des consommateurs? Nous avons depuis trop longtemps opté pour le dialogue et espéré trouver, dans les compromis, une formule permettant de garantir la durabilité de notre profession. Aujourd’hui, force est de constater que c’est l’échec complet.
L’échec du cycle de Doha à l’OMC est une heureuse nouvelle pour nous. C’est le moment de réfléchir et de ne pas se tromper de cible et d’objectif. Il faut commencer par bien analyser le problème. A quelle économie a-t-on affaire aujourd’hui? Est-ce que l’agriculture est bien la seule victime de cette politique? Est-ce que PA 2002, 2007 et 2011 portent les traits d’un libéralisme appliqué seulement à l’agriculture? Qu’est-ce qui a changé dans la politique économique nationale et internationale et qui produit les effets que l’on ressent aujourd’hui? Est-ce que les remèdes proposés par ceux-là mêmes qui ont formulé PA 2002-07-11 vont assurer un avenir à nous-même et à nos enfants?
Le Conseil Fédéral et le Parlement veulent imposer au pays une économie de marché, c’est-à-dire un marché le plus libre possible. Pour l’atteindre il n’y a qu’une recette: la déréglementation. L’Etat se soustrait à son rôle d’arbitre pour laisser le marché décider de ce qui est bon pour lui-même. Sans surprise, on constate déjà que ces intérêts ne sont pas forcément les mêmes que ceux de l’ensemble de la population et surtout de ceux de l’environnement. Ce qui nous permet d’affirmer que le développement durable n’est pas compatible avec l’économie de marché. Nous pouvons donc affirmer que l’agriculture n’est pas la seule victime de cette politique. Nous pouvons également affirmer que la PA 2011 qui nous est proposée ne permet pas d’assurer à l’agriculture un développement durable et aux consommateurs une nourriture de qualité.
Il est très important de préciser que l’OMC n’est pas un monstre sans tête, sans identité, qui impose à la Suisse des décisions politiques dont elle ne voudrait pas. Non! Les faiseurs de l’OMC sont les représentants de nos gouvernements. Ils sont les défenseurs de l’économie de marché, ils sont au Conseil Fédéral, au Parlement, dans nos organisations de défense professionnelle, dans les partis.
Les artisans de ce libre marché ont réussi à faire croire que la seule politique, à même d’assurer l’avenir, était le libre marché, seul capable d’engendrer de la croissance. Même les socialistes et les verts ont intégré cette idéologie dans leur politique. Pas de sauvegarde de l’environnement et du social sans croissance. D’après les adeptes de la croissance, ce qui fait défaut pour l’obtenir c’est le manque de concurrence. Mais de quelle concurrence parlent-ils? Dans le sport, les concurrents sont des adversaires de même catégorie avec les mêmes chances au départ, ils participent au même concours. D’ailleurs concurrence ne vient-elle pas de concours? Le dopage dans le sport supprime l’égalité des chances. On lutte contre par éthique, afin de garantir le droit à l’égalité des chances. De même, la déclaration des droits humains vise à garantir dans la société les mêmes droits, donc les mêmes chances de développement. La société a donc une interprétation différente du droit dans le sport et dans l’économie.
De même on constate que cette politique d’accroissement de la concurrence n’atteint pas les objectifs qu’elle est censée atteindre. Plus de concurrence devrait logiquement nous amener à plus de concurrents. C’est un beau projet puisque qu’il vise à interdire les situations de monopole, c’est la raison pour laquelle il a rencontré autant de succès auprès de la gauche.
Or, le constat risque d’être amer pour tous ceux qui ont mordu à l’hameçon et qui se font les défenseurs d’une politique qui favorise le pouvoir de la finance, qui normalise le dumping social, qui entraîne la société dans la surconsommation d’énergie et qui n’a jamais autant pollué.
Cette politique a permis une forte concentration du commerce dans tous les secteurs d’activités. Sans cette déréglementation, des géants comme Wal-Mart ou Carrefour dans la distribution, Syngenta ou Monsanto dans l’agro-chimie ou encore Nestlé dans l’alimentation n’auraient pas autant de pouvoir. En Suisse, au début des années nonante, il y avait un répertoire important de petits marchands de vins qui se fournissaient chez les vignerons du pays. Aujourd’hui, on peut compter sur les doigts d’une seule main les commerces de vin qui ont une influence sur le marché. C’est ce qu’on appelle la concentration du marché. Ces quelques marchands qui détiennent le marché ont le pouvoir d’imposer leurs règles (prix, qualité).
On le voit, le libre marché n’est rien d’autre que la loi du plus fort, ce qui est contraire à un véritable Etat de droit et contraire, par la même, au développement durable. Toute politique qui ne remet pas en cause ce principe ne peut prétendre au développement durable dans sa globalité (économique, social, environnemental).
La politique agricole PA 2011 ne peut qu’être rejetée en bloc puisque son objectif principal est l’adaptation de l’agriculture aux contraintes du libre marché. Or, il ne peut y avoir d’agriculture non subventionnée dans un libre marché puisque celui-ci rejette la participation financière à l’entretien du paysage par le découplement prix du marché/coût d’entretien du paysage. La paysannerie doit savoir exactement quelle agriculture elle veut et c’est de ce choix que doit naître toute sa défense. Il faut dénoncer haut et fort les absurdités du système de libre commerce, il faut rejeter ce découplement du prix à la production. Il est grave d’être la première civilisation à posséder autant de moyens de communication et autant de savoir, et d’être dans le même temps la plus gaspilleuse d’énergie, la plus polluante. Il faut dénoncer ce système qui, au nom du libre commerce fait venir de l’autre bout du monde des marchandises qu’on peut produire ici. Il faut dénoncer le développement des moyens de transport polluant comme l’avion. Il faut dénoncer l’appauvrissement financier de l’Etat par la suppression des taxes à l’importation. Il faut dénoncer la délocalisation de notre production dans des pays sans normes sociales et environnementales au seul motif de la rentabilité.
Si référendum il doit y avoir après la décision du Parlement, il faut poser clairement la question: quelle agriculture, mais aussi quelle société nous voulons? Comment protéger nos choix? Car c’est là qu’est la véritable question. N’ayons pas peur des mots, osons parler de protectionnisme. Il n’y a rien de plus légitime pour une société que de protéger ses choix, de protéger ses membres nationaux et étrangers, c’est-à-dire tous ceux qui y résident. Nous voulons une commission de la concurrence qui lutte contre toutes les formes de concurrence déloyale, c’est-à-dire l’inverse de son action d’aujourd’hui. Elle s’acharne actuellement, au mépris du droit que garantit la déclaration des droits humains, à détruire toutes les protections et à favoriser la concentration du commerce. Son action facilite le développement d’un commerce sans loi ou le plus fort est celui qui a la plus grande capacité financière lui permettant de pratiquer les prix les plus bas au mépris de l’emploi et de l’environnement. Un Etat qui inscrit dans son programme le développement durable ne peut pas tolérer ce type de commerce sur son territoire. La politique est normalement le résultat de choix de société, or aujourd’hui nous ne prenons pas les décisions en fonction de ces choix, mais uniquement en fonction des résultats financiers potentiels, qui ne souffriront d’aucune redistribution.
Il faut que l’on intègre dans notre défense professionnelle la défense de l’Etat de droit. La déréglementation actuelle, le principe du marché libre, le dumping salarial, les atteintes incessantes à l’environnement, les prix cassés ne sont pas compatibles avec la notion d’Etat de droit.
En ayant une mauvaise analyse de la situation, les paysans sont devenus incohérents dans leurs revendications, ce qui permet de mieux les écraser. L’USP fait le jeu de la grande distribution en demandant au Conseil Fédéral des mesures lui permettant de produire aux prix européens; elle montre par cette revendication n’avoir aucune vision d’ensemble de la société. L’objectif du paysan n’est pas seulement d’écouler ses produits, il doit surtout obtenir un prix qui lui permet de le faire vivre lui et sa famille. Nous ne pouvons pas demander des prix rémunérateurs sur la base de nos coûts de production suisses et demander la levée des barrières douanières pour pouvoir acheter nos machines et notre matériel au prix européen. Les paysans doivent lancer un référendum contre PA 2011 pas seulement pour sauver leurs exploitations, mais pour entraîner les citoyen-ne-s dans une réflexion sur l’avenir et sur les choix que nous devons faire rapidement. C’est seulement quand nous aurons le courage de défendre avec force nos intérêts et notre futur que nous pourrons croire en l’avenir. Notre intérêt doit être compatible avec l’intérêt général, c’est de cette manière que nous serons forts. Mettons nous rapidement au travail, car notre principal objectif doit être le lancement du référendum contre PA 2011.
Willy Cretegny, viticulteur à Genève
Publié dans la page Débat du Journal d’Uniterre – septembre 2006