L’ultra-libéralisme a eu droit du protectionnisme quel qu’il soit. Tout ce qui peut être interprété comme du protectionnisme est condamné à la réforme. Osez ouvrir un débat sur le protectionnisme et vous vous verrez rejeté, incompris, accusé d’être rétrograde.
Un droit légitime
Et pourtant, quoi de plus légitime pour une société que de vouloir se protéger? De vouloir protéger ses membres et ceux que l’on aime? De protéger les secteurs qui pourvoient de l’emploi. De vouloir privilégier ses résidents (toute nationalité confondue)? D’instituer des taxes permettant d’empêcher une concurrence déloyale? De vouloir protéger ses choix.
Reconnaître à une société le droit de protéger les siens, c’est reconnaître cette société dans son ensemble. Renoncer au protectionnisme, c’est nier l’importance de l’appartenance à un pays. Nier cela, c’est rejeter des valeurs qui ont présidé aux fondements de nos civilisations. La reconnaissance du droit à se protéger aurait permis de sauvegarder l’environnement de la pollution liée aux trafics mondiaux de marchandises, d’éviter la délocalisation de nos industries polluantes dans les pays émergents, de subir les effets dévastateurs des prix cassés sur le social et l’environnement.
On parle de plus en plus de souveraineté alimentaire pour contrer le libre-commerce. Or le principe de souveraineté alimentaire n’est rien d’autre qu’une protection des produits de proximité. C’est reconnaître l’importance, en termes d’emplois, d’environnement et de qualité de l’alimentation, à protéger les produits du pays. On ne peut donc pas limiter la souveraineté d’un pays à son alimentation, elle doit être garantie de façon à ce qu’il puisse exercer pleinement son droit à protéger ses choix et à défendre au mieux les intérêts de tous ses citoyens.
Il n’y a pas de meilleur outil de régulation de l’économie nationale que le protectionnisme. Le libéralisme ne protège plus les citoyens d’un pays, mais les multinationales et leurs dirigeants qui pillent la planète avec la bénédiction de nos représentants politiques. Cette politique fait le lit d’un nationalisme extrémiste dans une société où il y a de plus en plus de laissés-pour-compte. Tous ces problèmes trouvent leurs sources dans l’abandon par notre société des valeurs fondamentales que l’on pourrait définir par un seul mot: RESPECT.
Un des outils du protectionnisme ce sont les taxes d’importation. Ces taxes permettent d’éviter le dumping en alignant le coût du produit d’importation sur celui du pays, ce qui permet à ce dernier de garder un avantage commercial. Les produits confectionnés dans le pays rapportent à ce dernier de la valeur qui se traduit par des emplois, lesquels génèrent des impôts et des revenus pour les commerces locaux. Si ces mêmes produits sont confectionnés à l’étranger et traversent la frontière sans s’acquitter de taxes d’importation, ils ne rapportent pratiquement rien au pays. Le résultat, on le connaît: des secteurs entiers de l’économie intérieure mis en danger au profit de produits importés. Pour garantir l’emploi, l’Etat doit ensuite délier sa bourse pour soutenir la formation et l’embauche. L’absence ou la diminution des taxes à l’importation est une perte sèche pour l’ensemble de la communauté. Ces effets sont les mêmes pour le Nord comme pour le Sud.
Le protectionnisme au delà des frontières
Défendre le protectionnisme, c’est défendre le droit, raison pour laquelle il faut arrêter de limiter la notion de protectionnisme aux frontières. Appliquer le protectionnisme, c’est appliquer le droit aussi bien à l’intérieur d’un pays qu’à ses frontières puisque ce n’est rien d’autre que le défendre. On peut se demander comment des défenseurs des droits sociaux ont pu devenir des démolisseurs du protectionnisme. Dans un pays, chaque fois que l’on édicte une loi, on ne fait qu’appliquer le protectionnisme, puisque l’objectif est de protéger les individus des abus dont ils pourraient être victimes. Par exemple: les règles qui définissent les heures de fermeture des magasins ne sont rien d’autre que du protectionnisme, et tout le monde s’accorde pour reconnaître qu’elles sont indispensables pour protéger les petits commerces, les artisans et la main-d’œuvre. Le protectionnisme n’est donc pas une politique contre l’extérieur, c’est une politique qui repose sur le respect du droit aussi bien à l’intérieur du pays qu’à ses frontières.
A la lecture de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, on constate que la politique néolibérale est contraire aux principes des Droits de l’Homme. La Suisse, en tant que pays signataire, ne respecte plus la Déclaration des Droits de l’Homme. On pourrait, en se référant à cette dernière, dénoncer la politique de déréglementation et adresser une plainte à la Cour des Droits de l’Homme.
Les articles 22 et 23 nous donnent les bases:
• Article 22: Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération.
• Article 23 : Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.
Cette démarche aurait l’avantage de ne pas prendre seulement en compte le dossier agricole, mais l’ensemble de la société qui est touchée par les effets de cette politique. Cette démarche viserait également à condamner toute politique appelant à déréglementer. La déréglementation est totalement contraire à la démocratie, puisqu’elle institue la loi du plus fort, elle est contraire à toute société reposant sur le Droit.
Le modèle Wal-Mart
La société Wal-Mart, aux Etats-Unis, illustre bien les effets du libre-commerce et du défaut de protection («Wal-Mart à l’assaut du monde» dans Le Monde Diplomatique de janvier 2006). Cette société est le plus gros distributeur au monde et également la plus grande entreprise privée avec 310 milliards de chiffre d’affaires. Selon un rapport du Congrès américain, chaque salarié de Wal-Mart coûte 2’103 dollars à la collectivité sous forme d’aides diverses. Les salaires sont 20-30% plus bas que chez la concurrence. Quand Wal-Mart arrive, les petits commerces ferment. Depuis que la firme s’est installée en Iowa, au milieu des années 1980, l’Etat a perdu la moitié de ses épiceries, 45% de ses quincailleries et 70% de ses confectionneurs pour homme. Combat contre les syndicats, délocalisations, recours à une main-d’œuvre surexploitée que la déréglementation du travail et les accords de libre-échange rendent chaque année plus prolifique. Pression sur les fournisseurs pour les contraindre à réduire leurs prix en comprimant leurs salaires (ou à s’implanter à l’étranger); flou des missions pour favoriser l’enchaînement des tâches et pourchasser ainsi le moindre temps mort, la moindre pause. Construction de bâtiments hideux (les boites à chaussures) achalandés par l’armada des 7’100 camions géants de l’entreprise, roulant et polluant 24 heures sur 24 afin de bourrer, à l’heure dite, les coffres des millions de voitures alignées dans les parkings immenses de presque chacune des 5’000 grandes surfaces que la multinationale exploite: c’est le modèle Wal-Mart. Cet exemple montre que les droits sont bafoués. En exerçant une pression extrême sur les prix, les droits des fournisseurs-producteurs et de leurs employés ne sont pas respectés. Ensuite, les droits des vendeurs sous-payés sont également bafoués. Le droit de toute nation à préserver son environnement est détourné par la délocalisation de la production et les transports qu’elle engendre. C’est également le droit des consommateurs à pouvoir trouver une nourriture de qualité qui est bafoué. Si nous sommes attachés au principe de l’Etat de droit nous devons nous attaquer à la base du problème. Nous devons travailler à la protection de nos droits, de nos valeurs, de notre environnement. Osons parler de protectionnisme.
Willy Cretegny, viticulteur
paru dans le Journal d’Uniterre février 2007